4. histoires
Si on voit bien le puissant réseau de liens qui unit théorie et pratique, on prend plus rarement au sérieux les petites histoires qui nourrissent l’une et l’autre. Pourtant, notre vie se mélange avec nos histoires de travail ; notre pratique se tricote au fil des histoires des autres, nos théories se forgent, se confrontent et parfois se cassent le nez sur la résistance têtue de ce grand feuilleton du quotidien. C’est là que se trouvent le carburant et la matière première de notre activité. Pas très facile à appréhender pour autant. Comment se font ou se défont les histoires ? De quoi se nourrissent-elles ? Qu’en reste-t-il finalement dans nos souvenirs ?
Dans notre contribution au centième numéro de la revue française de design étapes : (septembre 2003), nous avancions l’idée que le récit au quotidien pouvait être tout aussi riche d’enseignements que la seule publication des projets réalisés. Nous avions imaginé retranscrire à cette occasion quelques journées d’atelier pour tenter de rendre compte, au ras du quotidien, de la diversité, de la singularité, des travaux en cours. Et nous citions Georges Pérec21 : « Les journaux parlent de tout sauf du journalier. Ce qui se passe vraiment, ce que nous vivons, ce qui revient chaque jour, le banal, le quotidien, l’évident, le commun, l’ordinaire, l’infra-ordinaire, le bruit de fond, l’habituel… le reste, tout le reste, où est-il ? » Et si l’actuel, le nouveau, le mouvement étaient là, dans l’habituel « que nous vivons sans y penser, comme s’il ne véhiculait ni question ni réponse, comme s’il n’était porteur d’aucune information ».
À chaque nouveau projet, c’est une nouvelle histoire qui commence. Il était une fois une situation, un lieu, un moment. Avec des personnages à découvrir. Action ! Il y a toujours une épreuve à passer, souvent une énigme à résoudre… Arriver au but peut prendre un certain temps. Et après ? Le héros s’en sort généralement, plus ou moins cabossé, plus ou moins sage… Mais la vie quotidienne n’est pas un conte de fées, et nos petites histoires n’ont pas vraiment la saveur de la grande aventure. Pourtant, chacune est singulière, puisque chaque situation, chaque rencontre est toujours exceptionnelle, unique. Toutes nous ont changés, nécessairement.
Généralistes de la forme visuelle, nous voguons ainsi d’une histoire à l’autre ; et, chemin faisant, nous prenons notre part à ces histoires : quelques-unes avorteront, ou mourront trop jeunes, d’autres vivront très longtemps et nous permettront de nouer, au passage, quelques compagnonnages fidèles.
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