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3. exposition

by admin on août 27th, 2011

L’exposition est un objet un peu énigmatique. Peu de définitions, pas de critères bien établis, pas de typologie, pas d’histoire ni de vocabulaire spécifique si ce n’est une taxinomie informelle de ses composants : espace, parcours, murs, cimaises, vitrines, socles, éclairages, titres, cartels, environnement audiovisuel, dispositifs interactifs, etc. Quant aux professionnels qui concourent à sa conception, la liste en est longue et les attributions de chacun pas toujours très précises. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire à ce sujet les annonces des achats et marchés publics : concepteur, scénographe, metteur en scène, ­designer (graphique, sonore, d’environnement), architecte d’intérieur, réalisateur de décors, fournisseur de mobilier muséographique, régisseur, etc.

Une exposition, dans sa filiation muséographique, c’est la présentation d’œuvres généralement prélevées dans des collections ; il s’agit alors de construire des situations de rencontre entre des visiteurs et des objets. Le musée des beaux-arts en est l’archétype, qui permet de voir, de contempler, « d’être en contact » avec les œuvres. Dans un registre différent, c’est également sur ce modèle que fonc­tionne l’exposition commerciale qui met en relation objets à vendre et acheteurs potentiels… Mais il existe aussi une autre catégorie d’expositions, celles qui ont une visée didactique, scientifique, technique ou cultu­relle : ce sont alors des outils de médiation pensés et organisés pour délivrer des messages précis ou pour commu­niquer l’identité d’un groupe, d’une ­ville, d’une région. Cette distinction commode est bien sûr un peu arbitraire car, généralement, les expositions mixent peu ou prou ces deux approches : la plupart des musées ont aujourd’hui un vrai souci de pédagogie, l’exposition didactique recourt largement à l’objet pour intéresser à un contenu, etc.
Nous sommes venus à l’exposition par son versant graphique : mettre en pages un titre, composer un cartel, une cimaise, concevoir un panneau didactique, etc. Nous avons ainsi traité d’expositions historiques, littéraires, scientifiques, au sein d’équipes pluridisciplinaires. Assez peu satisfaits de la place qu’on y attribuait généralement aux graphistes – « Regardez ces grandes cimaises, vous allez pouvoir vous exprimer et nous faire quelque chose de joli ! » –, nous avons donc décidé d’interroger globalement la mise en exposition. Notre domaine d’intervention s’est ainsi peu à peu élargi, et nous avons forgé une approche plus personnelle de l’exposition, notamment à propos des rapports entre espace, textes et images.

Installer et faire cheminer le visiteur
Les sémioticiens nous disent qu’« un ensemble signifiant concret est rarement constitué d’un seul message ». Et c’est particulièrement vrai de l’exposition qui est, de fait, un assemblage d’éléments de natures et d’origines très diversifiées : objets, textes, photos, vidéos, mobiliers, etc. « L’exposition fait penser au cinéma dans lequel des éléments divers (images, gestes, dialogues, bruitage, titre, musique, etc.) sont articulés en un tout (le film) », écrit Jean Davallon17. Mais, à la différence du film, l’exposition est un parcours, c’est-à-dire une pratique du corps dans l’espace. La déambulation en est l’élément fondamental : contrairement au cinéma qui impose un temps, la visite d’une exposition est un déplacement effectué réellement par le spectateur réel, dans un espace réel et à son propre rythme. Le concepteur n’est maître ni des impulsions ni des points d’arrêt des visiteurs.
Un livre fonctionne sur le principe de doubles pages successives ; cette convention technique est tellement intégrée à nos habitudes de lecture qu’elle n’est plus perçue comme signifiante – à tel point d’ailleurs qu’elle se transgresse aisément : le feuilletage se faisant ­aussi naturellement que la lecture linéaire. Si on transpose cette observation à la problématique de l’exposition, il ne faut donc pas seulement raisonner dans la linéarité, mais en volume et de manière dynamique, voire aléatoire : rythmes, espacements, points de fuite, échappées, continuité, contrastes… La première décision à prendre, c’est de déterminer la place du spectateur dans le dispositif, en lui laissant sa liberté de comportement. Et délivrer suffisamment d’indices de manière à ce que chacun puisse interpréter ce qu’il voit pour reconstituer le cours du récit proposé par l’exposition.

Produire du sens
La typographie tient généralement une place importante dans notre travail, et nous aimons bien prendre au pied de la lettre cette idée que l’exposition soit un récit – un texte – déployé dans l’espace. La typographie existe alors à la fois comme composante visuelle et comme moyen de structurer un propos. L’échelle choisie pour présenter un texte détermine tout autant la place du visiteur que le confort de lecture ; elle permet de ménager des surprises et d’entraîner le public dans une découverte active : je perçois immédiatement ce titre, je décide (ou non) de lire ce texte, de fouiller les détails de cette notice, etc. Entre l’usage public de la lettre dans une inscription « monumentale » et celui plus intime d’un document destiné à une lecture individuelle, nous aimons faire vivre le texte dans une grande diversité de situations.
Quant aux images, elles sont la chair du récit. Pour être précis, il faudrait encore se référer à la sémiologie et à ce qu’elle nous dit des trois ordres du sens : le linguistique, l’analogique et le métonymique ; ces trois ordres correspondant aux trois grandes catégories de signes – le symbole, l’icône et l’indice – que tous les médias combinent généralement pour produire du sens. Et veiller à mixer dans l’exposition ces différents types d’images, tout autant pour faire sens que pour pro­duire de l’émotion, du poétique, du sensible : des images pour « connoter une époque » ou rendre la couleur d’un sujet (ambiance, décor, environnement), des images « à regarder », un peu à la manière des objets de l’exposition traditionnelle (œuvres), et des images « pour témoigner », comme des fenêtres ouvertes sur le monde (reportages, témoignages, descriptions).
Qui dit exposition suppose qu’existe un lieu de présentation, un espace donné, avec ses caractéristiques, son potentiel et ses contraintes. Et si ce lieu permet à l’exposition de se concrétiser, il va également en induire la forme. Rappeler cela peut sembler une évidence ; simplement, quand nous parlons ici d’expositions, ce n’est pas à la white box des musées à laquelle nous pensons, mais plutôt à la grande variété de situations dans lesquelles il nous a été donné d’intervenir : un stand au Salon de l’agriculture ne peut pas se penser de la même manière que la présentation de sculptures dans un container ou l’évocation de l’histoire d’une ville dans un rez-de-chaussée de type commercial. Et dans ces contextes particuliers, au-delà des moyens traditionnels d’intervention dans l’espace, les utilisations du son et de l’image projetée – qu’elle soit fixe ou animée – sont autant de manières, aujourd’hui techniquement abordables, d’habiter un lieu.

Inventer des formes
Chaque exposition est une forme, « une petite invention » qui doit exister comme objet culturel, imaginé, défini, prévu, réalisé. En faisant l’analogie avec un journal, le choix de la mise en pages comme l’esthétique propre de l’exposition ne sont pas seulement supports, ils sont eux-mêmes éléments du message. Une exposition doit bien entendu répondre à des contraintes, à des objectifs, à une commande, mais elle doit aussi se donner comme création, c’est-à-dire former autre chose que la somme de ses composants. La manière de dire compte. Ni l’esthétique ni le choix des moyens ne sont indifférents : ils concourent à la communication immédiate, mais également à une pédagogie plus vaste, opérant dans une dimension culturelle.
« Il faudrait que les concepteurs d’expositions n’affadissent pas l’étrangeté par leur didactisme, écrit Pierre Sansot18, qu’ils sachent nous abandonner au seuil de cette descente dans les ténèbres. […] L’invisible, ce peut être ce que nous n’apercevrons jamais, cette fuite perpétuelle de l’horizon au cours de laquelle un pays en appelle toujours à un arrière-pays, un pli à un autre pli de la terre. Ce jeu du proche et du lointain définit notre condition d’être sentant-sensible. »

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