Skip to content

un collégien, un ordinateur portable / 2001-2009

by admin on décembre 3rd, 2009

Depuis 2001, le Conseil général des Landes confie un ordinateur personnel portable à chaque collégien de 4e et de 3e, et à chaque enseignant des 34 collèges publics du département. Pendant trois ans, nous avons ont réalisé un ensemble de reportages sur l’opération. Les plus significatifs sont assemblés dans un livre de 320 pages.
Consultable sur ici.
Format 150 x 210 mm, édition Conseil général des Landes, 2009
Cette opération – nommée “un collégien, un ordinateur portable” –, est historiquement la première de ce type à avoir été conduite en France, et elle ne se résume pas au prêt de 8 500 ordinateurs portables. Le Conseil général des Landes met également en œuvre tous les moyens permettant d’intégrer l’informatique dans la pédagogie : câblage intégral des collèges, dotation pour l’achat de ressources pédagogiques, financement d’un poste d’assistant d’éducation dédié à l’opération dans chaque établissement, installation de matériels collectifs (serveurs, imprimantes, vidéo-projecteurs, tableaux interactifs, visualiseurs, etc.).

Retour sur une expérience singulière
Nous avons, sur l’opération landaise, un point de vue un peu singulier : interpellés par le Conseil général pour accompagner les débuts de l’histoire, nous étions le 17 septembre 2001 au collège Jean-Moulin de Saint-Paul-lès-Dax, à l’occasion de la remise des premiers ordinateurs portables. Au cours de cette première année, nous avons pu visiter les trois collèges volontaires pour “tester” l’opération : un formidable remue-ménage était en train de germer, et nous avons eu très vite le sentiment qu’une telle expérience à cette échelle, et dans un contexte assez inégalement préparé à accueillir l’arrivée soudaine de ces machines, ne manquerait pas d’engendrer un foisonnant gisement d’histoires, d’idées, d’initiatives… Aussi, quelques années plus tard, quand la question nous sera posée de rendre compte de l’utilisation pédagogique des ordinateurs portables, l’idée s’imposera tout naturellement : « Plaçons-nous en situation de témoins, d’enregistreurs, pour recueillir – en paroles et en images – quelques-unes de ces histoires… Puis restituons une sorte de chronique du projet sous la forme d’un journal. » Nos interlocuteurs nous ont pris au mot, et alors que nous pensions n’opérer que sur un nombre restreint de collèges, ils renchérissent : « Pourquoi choisir ? Il faut les visiter tous ! »

Reportage, de l’anglais to report : rendre compte
Ainsi s’est formé le projet : visiter tous les collèges publics du département, à la fois pour y observer des situations pédagogiques “avec ordinateurs”, et pour rencontrer les différents acteurs de l’histoire : enseignants, parents, personnels des collèges, etc. La règle du jeu était simple : assister à des cours et décrire ce qui s’y passe, ce qui nous frappe, nous étonne… En contrepoint, ouvrir les guillemets pour laisser chaque enseignant expliquer les attendus pédagogiques de chaque situation. Une simple observation, donc, mais une observation active, avec l’objectif de traquer le singulier et le générique, les petits rituels et les grands principes… Littéralement, faire reportage – de l’anglais to report : rendre compte.

Est-ce que ce type de démarche est nouveau dans notre travail ?
Oui et non… Non, parce que nous pratiquons depuis longtemps la réécriture et la synthèse de contenus. Presque un exercice obligé dans notre pratique de graphistes “généralistes” – cette “écriture” s’inscrivant dans un aller et retour entre le corpus souvent assez emmêlé des informations à transmettre et les contraintes de la mise en forme graphique – notamment dans le cas de supports au format limité. Cet aller-retour entre le programme et le projet – ce que le programme suppose d’informations à transmettre et ce que le projet offre de possibilités, ce qui se dit par les mots et ce qui se dit par les images, etc – est bien une constante de notre pratique graphique.
Nous avons également une approche contextuelle des projets ; notre travail s’est toujours nourri de rencontres et de situations. Chaque nouveau chantier a toujours été précédé par une phase d’analyse sur le terrain, de discussions et d’échanges avec les différentes parties prenantes. Ce sont ces histoires dans lesquelles nous sommes invités à intervenir qui nourrissent constamment notre travail graphique : plutôt qu’émanant d’un style, les formes ainsi produites s’inscrivent toujours dans des contextes. Nos projets sont toujours pensés, élaborés, créés, produits avec et pour des gens, dans un but précis. Nous pratiquons donc des entretiens, repérages et enquêtes visuelles, en amont des phases de création, mais généralement, ces enquêtes préalables ne sont pas formalisées ; si elles sont toujours un implicite de notre démarche, elles restent, très souvent, à l’état de notes – quand, parfois, nous faisons l’effort de les communiquer, c’est comme moyen de prendre langue avec nos commanditaires.
Par contre, ce qui est nouveau dans l’opération landaise, c’est que nous avons amplifié ce moment de l’enquête, non pas comme préalable au projet mais comme finalité en soi. Et ce qui est singulier, ici, c’est l’ampleur de l’enquête.

Qu’est-ce que cela a produit ?
Une approche plus ethnographique que journalistique… Les règles du jeu ont été définies au départ et nous nous y sommes tenus de manière rigoureuse, pendant deux ans : visiter chaque collège en y séjournant deux jours pour observer une moyenne de cinq situations pédagogiques “avec ordinateurs”, puis détricoter les enjeux pédagogiques avec chaque enseignant concerné, et rendre compte dans trois pages du journal de ce que nous avons vu, en se forçant à en rester au constat, à l’état des lieux, à la narration des situations, sans dévier vers l’interprétation.
Au bilan, trente collèges visités, cent cinquante récits de cours, plus de deux cents entretiens (personnels d’encadrement et de vie scolaire, enseignants, parents, assistants d’éducation, collégiens)… La matière récoltée est évidemment conséquente, et finalement assez vivante : alors que l’on aurait pu imaginer ces situations comme très répétitives, chaque cours se révèle vraiment singulier. Au-delà de la manière personnelle de chaque enseignant de traiter du programme, c’est sans doute en s’attachant à une retranscription très précise de chaque situation qui pourrait sembler banale, en essayant d’en percevoir le caractère singulier, unique… que l’on finit par rendre compte de la vie et de la biodiversité scolaire ! Si nous étions venus avec des caméras et de gros téléobjectif, nous aurions sans doute fait des images, mais nous n’aurions peut-être rien vu et surtout rien compris de ce qui se passait et de ce qui se jouait devant nous, tant les faits sont parfois ténus.

Sur la forme ?
Au final, une vingtaine de journaux ont été publiés, et un livre né du désir de rassembler quelque part un peu de cette matière récoltée sur le terrain, de la mettre en perspective pour témoigner de ce qui s’est passé, ici, dans les Landes, dans les années 2000.
Ce livre est fait d’un ensemble de fragments : toute cette matière récoltée sur le terrain n’a pas été réécrite dans un souci de faire démonstration ; elle est livrée “brute”. La forme découle… Elle n’est pas l’objet principal du travail, mais plutôt la conséquence : laisser couler l’histoire. Dans d’autres cas, notre effort créatif aurait d’abord porté sur la forme éditée, quitte à contraindre (corseter ?) le contenu à cette forme. Ici, sur le terrain, à deux – nous qui ne sommes ni photographes, ni journalistes –, ce sont nos outils d’enquête préalable qui sont devenus nos outils de production : un appareil photo, un ordinateur portable et un enregistreur MP3. Nous avons documenté l’histoire avec des récits, des entretiens et des images. À chacun de faire son miel avec ces matériaux…
Dans le livre intitulé La loi du plus fort (éd. Pyramyd, 2002), Rick Poynor écrit ceci : « Et si le designer fonctionnait davantage comme un journaliste ? En d’autres termes, s’il développait une sphère de connaissance et d’expertise, choisissait un sujet, dirigeait une recherche, rassemblait des données, puis utilisait toutes les ressources du design – aussi bien les images que les mots – pour transmettre l’histoire… » C’est un peu ce que nous avons essayé de faire.

Qu’avons-nous vu ?
Nous avons vu des choses particulièrement inédites, innovantes, encourageantes : si l’enquête menée par l’institut TNS Sofres en 2008-2009 dresse un bilan quantitatif un peu mitigé, pour ce qui est du “qualitatif”, nous pouvons témoigner que les exemples ne manquent pas !
> dans chaque collège… Allions-nous trouver, dans chaque collège, matière à réaliser trois pages du journal ? C’était l’une des inconnues du projet… Au bilan, la réponse est “oui”, même s’il y a de grandes disparités d’un établissement à l’autre… Dans tous les collèges, nous avons rencontré des enseignants intéressés et impliqués ; elles et ils ont essayé d’imaginer de nouvelles manières de faire, pour intégrer les ordinateurs – aussi bien le leur que celui des élèves – dans leur enseignement.
> dans toutes les matières… C’est sans doute le fait le plus marquant : il n’y a pas d’un côté des disciplines “avec ordinateurs”, et d’autres “sans”… Les ordinateurs portables ont naturellement trouvé leur place en technologie et dans l’enseignement des sciences expérimentales – que ce soit en sciences physiques et chimiques, ou en SVT (sciences de la vie et de la Terre). En langues vivantes, ils ont ouvert d’étonnantes possibilités, aussi bien en matière d’écoute que d’enregistrement. En histoire et en géographie, la richesse et la qualité des ressources documentaires sont plébiscitées. En français, les usages sont en plein développement, bien au-delà de la perception que nous en avions au début de notre périple : les professeurs de lettres classiques, par exemple, ont largement adopté les outils numériques pour l’enseignement du grec et du latin. En éducation musicale ou dans les arts plastiques, certains enseignants ont poussé très loin l’intégration des ordinateurs dans leur pédagogie, notamment en tant qu’outils de création. Plus difficile à observer parce que l’utilisation n’y est que très ponctuelle, la place des ordinateurs portables a également été trouvée en éducation physique et sportive. Quelques réserves peut-être – ou hasard des rencontres –, une utilisation visiblement plus limitée en mathématiques que ce que nous aurions pu imaginer. Une bizarrerie : la grande différence de pratiques entre les professeurs d’espagnol et leurs collègues d’anglais ou d’allemand : toutes les langues vivantes ne s’enseigneraient-elles pas de la même manière ? Et un constat : ce qui fait aujourd’hui l’actualité numérique – blogs, réseaux sociaux, etc. – est totalement absent des pratiques, même de celles des enseignants les plus engagés dans l’opération.
> quel que soit l’âge… Contrairement à certaines idées reçues, ce ne sont pas forcément les enseignants les plus jeunes qui ont recours aux ordinateurs des élèves pendant le cours : nous avons notamment rencontré des quinquagénaires heureux qui ont puisé là une motivation nouvelle, et l’occasion de sortir de la routine, et de remettre en jeu leur pédagogie. Ce sont souvent ceux-là qui nous ont proposé les situations à la fois les plus maîtrisées et les plus innovantes, même s’ils étaient parfois techniquement moins à l’aise que certains de leurs collègues plus jeunes – sans doute plus familiarisés avec l’informatique, mais parfois moins disponibles, moins assurés pédagogiquement, ou plus frileux vis-à-vis de leur hiérarchie. Voici peut-être une des explications à la diffusion relativement lente des pratiques “avec ordinateurs” : contrairement à ce que laissent transparaître les discours, les difficultés sont sans doute ici moins d’ordre technique que pédagogique…
> mais de manière très contrastée… D’un établissement à l’autre, et sans qu’il y ait apparemment de raison objective pour expliquer cela, l’utilisation des ordinateurs portables est quantitativement très différente. Ici, le recours aux ordinateurs des élèves est très régulier dans quasiment toutes les matières, alors que là, dans d’autres établissements a priori en tous points semblables, il en va tout autrement. Chaque collège a son histoire ; et sans doute, le rôle du chef d’établissement, la composition de l’équipe pédagogique, le projet d’établissement ont quelque chose à voir dans l’affaire… Une chose est certaine : des synergies particulières sont à l’œuvre. La diffusion des pratiques semble s’opérer un peu par contamination – l’échange se faisant de pair à pair, entre collègues. On voit se développer ici un pôle fort d’usages en mathématiques, là des pratiques quasi généralisées en langues vivantes, etc.

À quoi servent les ordinateurs ?
Dans les différents cours auxquels il nous a été donné d’assister, nous avons pu observer trois types de situations : – seuls l’ordinateur de l’enseignant et le vidéo-projecteur sont utilisés, éventuellement avec un tableau interactif ; – seuls les ordinateurs des élèves sont mis à contribution ; – l’ordinateur de l’enseignant, les ordinateurs des élèves et le vidéo-projecteur sont utilisés ensemble, généralement avec un tableau interactif.
Dans le premier cas, c’est souvent, pour l’enseignant, une manière de rendre son cours plus vivant, plus riche, plus attractif, d’améliorer la façon de présenter les choses, de délivrer un savoir, d’expliquer des phénomènes. Dans le second cas, les élèves sont généralement dans une démarche “active” qui les place au cœur de la recherche – l’enseignant allant de l’un à l’autre, pour orienter, stimuler, etc.
Dans le troisième cas, il faut bien distinguer ce qui est de l’ordre d’un cours magistral classique – le professeur délivrant son cours, et les ordinateurs des élèves servant uniquement à la prise de notes –, d’autres situations plus inédites dans lesquelles les ordinateurs des élèves servent par exemple à conduire une recherche documentaire, visionner un document audiovisuel, produire un texte et/ou s’enregistrer.
Ainsi, d’un cours à l’autre, les usages sont bien différents. Parfois, les ordinateurs servent à faire d’une autre manière – ou mieux – ce qu’on faisait auparavant : exercices, prise des notes, consultation de documents, etc. Par contre, notamment quand les ordinateurs des élèves sont mis à contribution, on assiste à l’invention de nouvelles situations pédagogiques. Ce cours d’espagnol, par exemple, où chaque élève a pu écouter un document sonore, rédiger un texte à propos de ce qu’il en avait compris, et s’enregistrer pour rendre son devoir sous la forme d’un fichier audio – le tout dans une ambiance studieuse –, nous a fortement impressionnés ! Mais il est certain que cela ne s’improvise pas. Ces situations doivent se préparer, et la réussite tient autant à la manière dont l’enseignant les installe, qu’au fait qu’il le fasse régulièrement, en inventant certains rituels : à quel moment du cours interviennent les machines ? comment accède-t-on au réseau ? etc. Toute une série de petites habitudes à “faire ensemble” qui rendent ces pratiques naturelles… Non, ça n’est pas simple, mais quand on y arrive, la plus-value est évidente.

Pour conclure…
Rappeler que la spécificité de l’opération landaise, c’est le fait que chaque collégien de 4e et de 3e dispose, pour l’année scolaire, d’un ordinateur personnel portable richement doté en logiciels et en ressources pédagogiques. Et qu’à cette échelle, et sur une telle durée, cette histoire est unique en France. Préciser qu’il nous semble bien difficile – voire illusoire – de vouloir dresser un bilan précis des usages, et d’en généraliser les conclusions, tant chaque situation est singulière… En l’absence de modèles pédagogiques préétablis, de directives, ou d’orientations, chaque collège, chaque enseignant joue sa propre partition, plus ou moins activement, avec plus ou moins d’imagination, de liberté, d’enthousiasme. Tout au long de ce “tour des Landes des collèges”, nous avons vécu des moments d’attention intense, d’enthousiasme, de jubilation, d’émotion (et, bien sûr, quelques situations d’ennui !). Nous avons aussi parfois douté, en réalisant à quel point l’école n’est pas préparée à accueillir ces machines à certains égards un peu “diaboliques”. Des enseignants ont été déstabilisés, d’autres enthousiasmés, tous se sont trouvés dans l’obligation de se poser beaucoup de questions, particulièrement sur leur rôle et sur leur manière d’enseigner. Comment gérer une situation de classe, quand on n’a plus devant soi que des visages cachés derrière des écrans ? Un débat s’est ouvert au sujet de l’accès à internet, un autre à propos des usages non strictement scolaires des ordinateurs…
Engagés comme observateurs et comme témoins, investis de la mission de collecter et de restituer un peu de ce vécu individuel et collectif, nous nous sommes laissés prendre à l’aventure… Les étonnements, surprises, enthousiasmes ou doutes de nos interlocuteurs nous ont, par contamination, étonnés, surpris, enthousiasmés ou remplis de doutes à notre tour… Des questions essentielles ont été posées ; certaines commencent à trouver des réponses. D’autres non. Une collectivité territoriale met en œuvre des moyens ; des enseignants sont en train d’inventer la vie qui va avec.

From → atelier

Comments are closed.