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identité

Comme toutes les activités, la nôtre produit son lot de termes spécialisés – ou pensés comme tels –, souvent à peu près incompréhensibles au commun des mortels. D’autant que ce jargon manipule parfois certains mots du vocabulaire ordinaire ; « identité » est de ceux-là. Identité ? Photo d’identité ? Carte d’identité ? Identité judiciaire ? Demandez à un graphiste ou à un designer, il vous dira, lui, que l’identité – généralement accompagnée de l’adjectif qualificatif « visuelle » – désigne un système cohérent et organisé, conçu pour traiter visuellement la communication – la manière de se présenter – d’une institution, d’une entreprise…

C’est sans doute par analogie avec ce qui caractérise l’identité d’une personne que l’usage de cette expression s’est répandu à propos de villes, de régions, d’événements… De quoi est faite notre identité ? Pour la science anthropométrique, c’est la couleur de notre peau et de nos yeux, notre âge, taille, sexe, nationalité, empreinte digitale ou dentaire, etc. Pour nos amis, c’est plus probablement le son de notre voix, notre manière de parler, de bouger, de nous habiller… Pour qui nous connaît plus intimement, c’est le parfum de notre corps, le toucher de notre peau, etc.
On voit donc que l’identité est loin de se limiter à la seule dimension du visuel – identité sonore : je ne mets pas cinq secondes pour reconnaître sur la bande FM le son de ma radio préférée… identité spatiale : ce qui est pratique, quand tu vas dans un restaurant chinois, c’est que tu n’es pas dépaysé ; les dragons, les baguettes, les images, la musique, etc.

Logo, mon beau logo
L’identité, c’est le « caractère de ce qui est identique (voir similitude) et le caractère de ce qui est un (voir unité) », nous dit Le Petit Robert. Questionner l’identité d’une ville, d’un bâtiment, d’une institution, d’un événement, revient alors à s’interroger simultanément dans ces deux directions : qu’est-ce qui est identique ? qu’est-ce qui est unique ?
Dans les années 1980, on a cru pouvoir résoudre cette question « de l’identité » grâce à une recette miracle : « Il nous faut un logo ! » Toutes les villes, toutes les régions françaises, tous les départements se sont ainsi dotés de ces symboles héraldiques d’un genre nouveau : « Du concentré graphique qui embrouille le sens plus qu’il ne le décrit », selon la formule de Gérard Paris-Clavel1. Et, tels les chevaliers en armure, bardés de blasons pour être reconnus malgré leurs visages masqués, chacun va maintenant brandissant haut et fort son beau logo. Comme s’il suffisait de changer de coiffure et de lunettes ? De logo ? « Je me ferais teindre en blonde… » Ainsi, alors qu’on n’était rien, on deviendrait tout d’un coup quelqu’un ?
« En traitant les villes ou les régions comme de simples produits destinés à la vente, les responsables politiques ou administratifs ont parfois un peu oublié qu’un contrat moral les liait aux citoyens. La ville résumée dans son unique logo est retirée à ses habitants, à leur Histoire, à leurs histoires, à leur mémoire. »2
Nous enrageons régulièrement quand il nous faut maintenant composer avec ces « moustaches graphiques », souvent sans grande qualité, élaborées en copiant la logique des marques commerciales (sans avoir ni les moyens de créer des signes performants, ni la capacité de les diffuser pour les faire connaître). Mais qu’il nous faut systématiquement apposer ici et là, en ribambelle sur la moindre affiche culturelle, au fronton de tout stand ou document institutionnel.

Rendre lisible ce qui est singulier
Faut-il alors définitivement brûler les logos, au prétexte qu’on ne peut pas rassembler dans un seul signe toute la complexité, toute « l’identité » – refléter le caractère singulier – d’une organisation, d’une ville, d’une région ? Doit-on, sous prétexte d’hygiène visuelle, refuser d’en mettre de nouveaux en circulation dans l’espace public ? Sans doute que non, car il est des cas où l’on peut difficilement se passer d’une signature claire et identifiable, facile à apposer sur toutes sortes de documents, dans une grande variété de situations. Mais le logo n’est pas la panacée pour autant. Souvent les besoins « d’identité » ne nécessitent pas la création de tels objets graphiques : questionner les images, opérer des choix typographiques, définir des constantes de mise en pages, qualifier un univers visuel… Autant de paramètres aussi essentiels qu’un improbable logo qui n’aurait fait que déplacer le problème, sans résoudre d’aucune manière la question posée.


1. Gérard Paris-Clavel, in La logotomie des villes,