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2003

by admin on décembre 5th, 2003

inauguration / livre / chantier / acteurs / paroles et images / mémoire / documents…
Imagine-t-on qu’un projet de tramway puisse à ce point mettre une ville cul par-dessus tête ? Grenoble, Nantes et Strasbourg avaient certes mené des chantiers équivalents, mais qu’une telle chose advienne, avec cette ampleur, pour Bordeaux et son agglomération… Le choix en apparence « simplement technique » d’un moyen de transport en commun « en site propre » est pourtant en train d’accoucher, au terme de trois années d’un chantier particulièrement éprouvant, d’une ville largement remodelée. Dans La Ville des prodiges1, Eduardo Mendoza décrit bien cette folie qui s’empare cycliquement d’une ville, en l’occurrence il s’agit de Barcelone, et dans le roman, la capitale catalane est en pleine fièvre de rénovation : elle s’apprête à recevoir sa première Exposition universelle. Ce qui se passe à Bordeaux est de cet ordre, et nous avons la chance de vivre l’un de ces moments rares qui voient se débloquer des situations que l’on pensait à jamais figées… Nous sommes au mois de septembre 2003. Le chantier de la première phase du tramway touche à son terme ; les travaux sont encore loin d’être terminés, mais on parle déjà de l’inauguration. Les festivités s’organisent… Il faut dire que cette mise en service, tout le monde l’attend avec impatience : nous avons trouvé le temps du chantier particulièrement tonique, surprenant, épatant, mais la ville a frôlé l’asphyxie et nombreux sont ceux qui ont peiné dans leurs activités quotidiennes.
On peut visualiser le livre ici.

Faire un livre
Nous voici donc invités au siège de la Communauté urbaine de Bordeaux. Il faudrait, nous dit-on, imaginer une plaquette pour l’inauguration. Une plaquette ? Oui, un joli document à remettre aux invités… Malgré les délais déraisonnables, nous argumentons sur le fait que ce chantier « historique » mérite sans doute un petit peu plus, par exemple un livre, pour rendre la mesure de l’événement. « On y retrouverait un peu de la mémoire du chantier, écrivions-nous alors, mais également la mise en perspective de ce projet en tant que levier des mutations en cours dans l’espace de la ville… » Le directeur de communication, Charles-Marie Boret, soutiendra l’idée ; les élus en accepteront le risque. Heureusement, nous ne partions pas de rien : nos camarades du centre d’architecture arc en rêve venaient de réaliser une exposition très documentée sur le sujet ; ils acceptaient de nous ouvrir leurs archives. Ce sera notre point de départ, notre matière première.
Mais le temps est compté, et l’automne déjà là avec son lot de temps maussade… Nous demanderons très vite à un photographe, Vincent Monthiers, de réaliser, dans le temps de ce chantier finissant et encore très chaotique, « des images comme si »… comme si tout était déjà fini, propre, opérationnel. Par chance, il aura trois jours de beau temps, l’opportunité d’une opération « portes ouvertes » dans les véhicules et celle d’embarquer à l’occasion de quelques très courts essais. Ses images semblent banales aujourd’hui ; elles étaient alors proprement hallucinantes. En découvrant nos maquettes, le patron de la Mission tramway en est resté bouche bée : il était quotidiennement en prise avec une foule de problèmes sans fin, et nous lui donnions à voir (enfin !) le résultat tangible de longues années de travail…

Images, témoignages, documents
Mais faire un livre, ce n’est pas seulement collecter des images… Dans l’exposition d’arc en rêve, on voyait certains acteurs de l’histoire – un ingénieur, un architecte, un technicien, etc. – raconter leurs contributions au projet. Nous avions trouvé ces témoignages doublement intéressants : des spécialistes parlaient de leur travail, et on sentait des personnes visiblement habitées, transformées par l’aventure… Nous reprendrons donc l’histoire, là où elle s’était arrêtée, et c’est avec un magnétophone que nous irons rencontrer élus, ingénieurs, architectes ou techniciens… pour témoigner de leur engagement dans le projet.
« En réalité, avec un projet de tramway, on refait la ville… », déclare ainsi le maire de Bordeaux. « Lorsqu’un salarié met une heure le matin et une heure le soir pour aller travailler, en voiture particulière, cela pose – en plus de la fatigue accumulée – de gros problèmes de pollution, de sécurité routière, d’énergie » précise un des vice-présidents de la Communauté urbaine. Etc. Ces paroles plurielles formeront le cœur de l’ouvrage. La retranscription des entretiens, exercice technique et délicat, se révélera finalement tout à fait passionnante : nous souhaitions ménager un peu de ce langage parlé propre à chacun, tout en lui trouvant une traduction écrite, fidèle mais « lisible ». Heureusement, dans ce jeu d’allers et de retours, le travail à quatre mains apparaîtra particulièrement fécond, et le courrier électronique nous permettra de conserver le lien de l’échange direct avec nos interlocuteurs ; chacun acceptera notre règle du jeu, les prises de décisions seront rapides.

Tout à part
Alice, cuisinière en Béarn, nous a appris que le secret d’une bonne ratatouille, c’est de faire cuire « tout à part », poivrons, courgettes, tomates, etc., et de n’assembler qu’ensuite, pour le mijotage final. Nous expérimenterons ici une recette assez semblable : un livre en ­cinq parties très franchement différenciées : des images, puis des textes, puis des portraits, etc. Pour affirmer ce choix, nous choisirons d’imprimer chaque chapitre sur une qualité de papier particulière : couché ultrabrillant, couché mat, bouffant édition, etc. Une variété d’écriture à contraintes à la mode de l’OuLiPo, le changement de papier supposant que chaque partie soit composée selon des cahiers séparés, multiples de seize pages.
Comment le 21 décembre, le livre fut-il achevé d’imprimer, broché, livré ? Merci aux décideurs qui ont su décider. Grand merci ensuite aux imprimeurs qui ont eu à cœur de parfaitement réaliser la chose, en temps et en heure. Le jour d’inauguration fut un moment de liesse et de folie dans la ville… Dès cinq heures du matin, la première rame était complètement bondée. Plus tard dans la journée, les trams réservés aux invités auront grand peine à se frayer leur voie dans la foule. Le livre sera remis en cadeau à tous ces VIP, puis déposé dans les bibliothèques publiques et mis en vente dans les librairies de la ville. Le tramway fait maintenant presque banalement partie de notre quotidien ; et quand il nous conduit dans la ville, nous revient parfois le souvenir de l’engagement et de la passion de tous ceux qui ont fait en sorte qu’il soit là. Quelle chance d’avoir pu « monter en marche » et faire ce bout de chemin avec eux !


Tramway, le livre
Maîtrise d’ouvrage : Communauté urbaine de Bordeaux
Édition : arc en rêve centre d’architecture


1. Eduardo Mendoza, La ville des prodiges, Éd. du Seuil / Points, 1988

From → atelier

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