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histoire / 2003

by admin on juin 4th, 2004

Portraits de ville
monuments / patrimoine / Bordeaux / la ville est une histoire qui ne s’arrête jamais
/ avoir un passé ne suffit pas / cimaise épaisse / promenade d’architecture…
Voici l’histoire d’un projet qui nous a transformés, pour de longs mois, en « touristes professionnels » dans notre propre ville. Nous avons arpenté les rues, inventorié, repéré, visité et documenté les principaux monuments ; nous avons photographié, rédigé des notices et des synthèses. Un musicien et un cadreur vidéo sont venus, un temps, faire route avec nous…
L’office de tourisme de Bordeaux fut le maître d’ouvrage de cette opération. La municipalité souhaitait créer un lieu ressource, une sorte de vitrine permanente du patrimoine, pour renseigner sur l’histoire de la ville et mieux faire connaître ses monuments : «… Un lieu qui “parle” de la ville, de son histoire et de son avenir, sous une forme à la fois attractive, didactique et valorisante. » Décision fut prise de louer à cet effet un rez-de-chaussée d’immeuble, dans le cœur historique de la cité, et de consulter des concepteurs pour mettre en œuvre l’idée.

Une cimaise épaisse
Invités à proposer un projet, nous trouverons ces lieux très exigus et, en tout cas, peu propices à une scénographie compliquée. Nous proposerons alors… une cimaise. Une simple cimaise ? Oui, mais installée franchement, dans toute la profondeur du bâtiment pour en utiliser au mieux tout le potentiel de cheminement. Notre proposition fut retenue. L’exposition se concentre ainsi en une cimaise longue (plus de 20 m), et qualifiée d’« épaisse » parce qu’elle se déploie sur plusieurs plans. En arrière, les différents éléments de contenus (titres, textes, images, graphismes, etc.), quelques objets choisis pour leur valeur d’emblèmes, et un ensemble de moniteurs vidéo. En avant, un garde-corps permet aux visiteurs de s’accouder pour lire plus confortablement. Entre les deux, un podium présente une sorte de thesaurus du patrimoine monumental de la ville (environ 150 bâtiments, 150 photos, 150 notices). Le local que nous trouvions trop petit dans sa configuration initiale a gagné en respiration et accueille maintenant sans trop de problèmes des groupes importants de visiteurs.

Commencer par la fin (et réciproquement)
Nous aimons bien cette idée que la ville soit une histoire qui ne s’arrête ja­mais ; et que les villes historiques européennes soient faites de l’empilement de plusieurs agglomérations qui se sont succédé au fil des siècles, en se superposant les unes aux autres et en s’étendant dans l’espace. Nous ne souhaitions pas concevoir ici une exposition sur l’histoire (le passé) de Bordeaux, plutôt convoquer ce passé pour donner sens au visage contemporain de la ville, considérant les monuments comme des balises – des jalons pour se positionner sur l’échelle du temps.
Comment entrer dans l’histoire – et les histoires – de la ville ? Le projet de cette exposition, c’est encore une question de chemins : c’est un aller et un retour. Tu marches dans la rue, tu pousses la porte, tu entres, et ce que tu vois est parfaitement synchrone avec la rue que tu quittes : la visite débute par la ville d’aujourd’hui. Puis, en avançant, tu remontes dans le temps et tu découvres les visages successifs de la cité, dans ses principaux états : la ville moderne, la ville classique, la ville médiévale, la ville antique. Tu arrives enfin aux temps de la fondation : le site, la matrice… Tu peux alors entreprendre le chemin inverse, vers la sortie, vers la rue, vers la ville. Burdigala, Bourdeu, Bourdeaux, Bordeaulx, Bordeaux…
Ce double mouvement de l’aller – de la ville contemporaine vers un passé lointain qui se révèle progressivement –, puis du retour – dans une chronologie directe –, nous semblait la façon naturelle, compte tenu de la structure des lieux, d’échapper à un exposé trop pesamment scolaire : dans l’aller, c’est le mouvement de la découverte libre, du poétique, du plaisir des images, et le moment du retour offre, à qui le souhaite, le moyen de confirmer des informations, de structurer ses repères : la visite s’inscrit alors dans le registre du didactique.

Des images et des textes
C’est un fait : nous aimons les images, et le plaisir du récit en images. Nous inaugurerons pour ce projet l’utilisation de la photo numérique… avec tout ce que le procédé peut avoir d’inflationniste ! Les musées de la ville, les archives et la bibliothèque municipale nous ayant entrouvert leurs portes, nous nous régalerons à prélever les micro-détails de quelque peinture de facture très classique, ou à tenir dans nos mains gantées de blanc l’exemplaire rare et admirablement mis en pages de ce livre (Élie Vinet, Burdigalae), imprimé par Simon Millanges, du vivant de Montaigne.
Une cimaise de vingt mètres de long sur deux mètres cinquante de haut, c’est tout sauf évident à composer ! Comment concilier une vision d’ensemble (avec de grandes images, des titres et des textes) avec notre désir d’entrer dans le détail, le fragment, l’anecdote ? Comment autonomiser chaque partie (pour rester « lisibles »), tout en coordonnant un ensemble (dont nous avions l’ambition qu’il soit « plastique ») ? Comment ne pas être simpliste et restituer un peu de cette pensée complexe dont parle Edgar Morin19, et qui nous semble particulièrement pertinente pour ces sujets éminemment complexes que sont la ville et son histoire.

Un environnement sonore
Comment évoquer une ville sans convoquer les sons qui lui sont attachés ? Chaque agglomération a un accent, des ambiances, des sonorités qui lui sont propres… En entrant dans l’espace d’exposition, le visiteur est plongé dans différentes ambiances sonores prélevées dans la ville : la rivière et le vent, une phrase musicale et des voix, les marchandes des quatre saisons de la rue Élie-Gintrac, le marché de la place Saint-Michel, une répétition au Grand-Théâtre, les supporters des Girondins au stade, etc.
Progressivement, cette rumeur devient plus abstraite : elle cède la place à un grand calme. Alors, toutes les vingt minutes, immuablement, advient le mascaret – cette longue vague déferlante produite dans l’estuaire par la rencontre du flux et du reflux de la marée, et qui remonte la rivière jusque très loin à l’intérieur des terres. « On entend un bruit lointain, comme un tonnerre continu, vaguement indistinct ; le vent fraîchit, la rumeur confuse passe au fracas, et le mascaret arrive, en se cabrant sur la rivière, qu’il secoue… » (Onésime Reclus).

Quelques objets
Certes, il ne fut jamais question de faire ici l’antichambre d’un quelconque musée, et, d’entrée de jeu, on nous avait même bien précisé : « Non, non, il n’est pas concevable d’imaginer présenter ici des objets originaux ! » Nous reviendrons pourtant à la charge tant il nous semblait indispensable de trouver quelques contrepoints. Certes, les vidéos amenaient « des images qui bougent », et la bande son faisait bruisser l’espace ; mais il nous manquait encore un « supplément d’âme », un peu d’authenticité dans cet environnement très technico-informatif.
Nous obtiendrons finalement gain de cause, différents musées de la ville acceptant le dépôt temporaire de quelques objets significatifs, prélevés dans leurs réserves, comme cette gargouille provenant du château Trompette ou cette stèle funéraire antique, portant une inscription de dédicace « à ma fifille », avec le nom d’un enfant.

Pour conclure
Pour témoigner de la vision contemporaine d’une ville sur son patrimoine monumental, nous avions le projet de réaliser ici une installation pluri-médias (images et textes, environnement sonore et vidéos, objets). Nous aurions sans doute préféré rester dans l’évocation, mais nous voici dans l’encyclopédie. Il faut photographier ceci, il faut absolument parler de cela : tout recenser, tout montrer, tout raconter… « Il y a trop de tout ! », disions-nous vers la fin du chantier. L’accueil du public aura d’une certaine manière raison de notre pessimisme : touchant de voir ces personnes si différentes également attentives. Et qu’on ne nous dise plus que les gens ne lisent pas ! Nous avons même surpris, dans l’ombre fraîche d’un après-midi d’été, deux grands-mères occupées à lire consciencieusement toutes les notices, du début à la fin, installées sur deux chaises qu’elles déplaçaient – tout en papotant – au fur et à mesure de l’avancement de leur lecture. Tous les visiteurs n’agissent évidemment pas ainsi.

Merci à Philippe Prévôt, notre partenaire bienveillant dans cette histoire.

Bordeaux monumental, exposition
Maîtrise d’ouvrage : office de tourisme de Bordeaux, 2003

From → atelier

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