p + tram / 2004
Signalétique et architecture
architecture / équipe / projet / parking / silos à voitures / tramway / piéton
/ signalétique / cheminements / promesse de ville
En juin 2004, la Communauté urbaine de Bordeaux – on dit maintenant la Cub – lance une procédure de concours d’architecture pour la construction d’un parking, sur la ligne C du tramway, à Ravesies, un quartier en pleine requalification urbaine, à l’entrée nord de Bordeaux. Alain Charrier, un de nos amis architectes, souhaite se porter candidat. En étudiant les attendus du programme, il a très vite l’intuition que les questions de signalétique, de lumière et d’image méritent ici une attention particulière. Il en déduit que certaines compétences, un peu « exotiques » par rapport aux habitudes de travail de son agence, pourraient utilement nourrir le débat.
Nous voilà donc embarqués dans l’histoire.
On peut visionner le projet ici.
Septembre 2004 : nous avons gagné le droit de participer à un concours (défrayé conformément aux dispositions de la loi sur la maîtrise d’œuvre publique). Quatre équipes sont en lice… Et que le meilleur gagne ! Dans cette aventure, notre mission sera de contribuer au projet en termes de signalétique fonctionnelle, d’image et d’identité visuelle du bâtiment. Fin du prologue…
Questionner les mots
« Les parc-relais sont des aires de stationnement gardiennées réservées aux véhicules des usagers du réseau de transport en commun de la Cub », nous apprend le cahier des charges. Nous ne nous privons jamais de critiquer le programme d’un concours ; c’est même devenu une tournure naturelle. Mise en jambes ? Manière de vérifier que notre esprit est affûté ? L’exercice est aussi un bon moyen de s’approprier les contours d’une problématique. Les questions, ici, portent sur le projet dans sa globalité : comment fonctionne le bâtiment, comment s’intègre-t-il dans son environnement, comment est-il signalé et quelle image donne-t-il de sa fonction, assez triviale, de silo à voitures ?
À première vue, il y a plus excitant comme projet. Un parking ? Pas le genre d’endroit où vous avez envie de traîner. Au mieux, désespérant de banalité quotidienne ; au pire, parfumé d’inquiétantes réminiscences de série B. D’ailleurs la première idée qui vient généralement à l’esprit de l’automobiliste, c’est d’éviter. Simple réflexe. Est-ce pour gommer cette connotation dure que l’on aurait forgé ce néologisme de « parc-relais » ? Nous sommes moyennement convaincus : ainsi, après le parc naturel, le parc de loisirs et autres parc des sports, on aurait découvert un nouveau style de parcs qui emballerait son parking pour en raffiner l’esprit ?
Nos partenaires de projet sont surpris : eux sont aux prises avec des ratios compliqués, des cotes NGF et autres risques d’inondation, et nous mettons notre énergie dans une grande bataille avec les mots, en clamant qu’il ne saurait être question de porter l’intitulé de « parc-relais » au fronton de l’édifice… Qu’il y aurait même là une sorte de faute professionnelle ! Ils écoutent patiemment l’expression de nos états d’âme. Poussés dans nos retranchements, nous forgerons alors le mot-image P + Tram pour signer la fonction du bâtiment et poser le premier terme de l’équation de cette promesse de ville qui est l’ambition de tout réseau de transport en commun.
Le parking comme espace piétonnier
On imagine habituellement que les parkings sont de simples silos à voitures, organisés comme autant de lieux entièrement dévolus à l’automobile et très fortement structurés par les dispositifs d’information nécessaires à leur bon fonctionnement « circulatoire » : enseignes, écrans digitaux, signalisations lumineuses, etc. Ces messages y sont d’ailleurs très souvent surdimensionnés, surcolorés et, en tout cas, traités dans un registre délibérément routier. Tout semble alors indiquer au piéton qu’il est, au mieux, toléré, le temps de rejoindre son véhicule (et de redevenir automobiliste).
Le projet était ici de concevoir un équipement plus « aimable », dans lequel l’usager serait tout autant, sinon plus, piéton qu’automobiliste. Dans un tel programme, la signalétique doit jouer sa partition : ainsi, l’automobiliste percevra mieux qu’il entre dans un territoire partagé, dans lequel il n’est plus le maître absolu. Plutôt que de peindre au sol des bandes obliques ménageant le territoire des piétons, faisons parler ce chemin qui conduit vers la sortie, vers le tram, vers la ville : à l’image des murs peints qui annonçaient, dans les gares d’antan, les villes desservies par le chemin de fer, on pourrait imaginer une sorte de « tapis typographique » composé avec les noms des différentes communes de l’agglomération : après avoir quitté son véhicule, l’automobiliste devient usager du réseau des transports en commun. La composition des textes, le sens de lecture et la répétition de petites flèches de ponctuation entre chaque nom, tout conduit naturellement vers la sortie et, symboliquement, vers chaque composante du territoire de la ville.
Programme commun
Convaincus que la première dimension de la signalétique est dans l’architecture même du bâtiment et que toutes les questions d’orientation qui peuvent trouver une solution architecturale allègent d’autant le dispositif signalétique proprement dit, nous en venons à réfléchir ensemble à l’orientation des espaces intérieurs…
Le bon côté du travail en équipe, c’est qu’il permet le croisement des points de vue. Les regards s’enrichissent dans la confrontation, les opinions se forgent dans la dialectique. C’est sans doute à quelques éclairs heureux de connivence, et surtout à la place laissée à l’expression des désaccords, que l’on sent que « ça prend » : quand les cloisonnements s’estompent, quand la question n’est plus de savoir si on parle de lumière, de graphisme ou d’architecture… quand les processus créatifs se mêlent au point qu’il en devient impossible d’attribuer précisément la paternité de l’idée soudainement formulée et autour de laquelle un accord instantané s’est fait. Pour autant, chacun doit rester maître de sa partition et capable de donner une forme maîtrisée aux intuitions nées du grand brassage collectif. Alors, petit à petit, au frottement de ces allers et retours, le projet ira son chemin. C’est ainsi que s’est formée l’idée selon laquelle la façade sur la rue serait délibérément différente des autres : plutôt transparente le jour et suréclairée à la nuit tombée, par exemple, alors que les autres seraient plutôt pleines. L’automobiliste qui descend de sa voiture comprendra naturellement qu’aller vers la lumière, c’est se diriger vers la rue, vers la sortie.
Une petite musique gagnée sur le quotidien
Imaginons, donc, une façade vitrée, entièrement imprimée d’une trame de points. Depuis la rue, on perçoit un léger filtre, plutôt neutre, qui diffuse et polarise la lumière. Entrons dans le bâtiment, approchons-nous de cette paroi. Une surprise nous attend : ce qui se donnait à voir comme un simple vitrage dépoli se révèle être un motif en forme de damier dont chaque case contient une image – photographies de l’agglomération bordelaise. À l’échelle de l’usager cheminant vers la sortie, la boîte à lumière se fait lanterne magique éclairant une multitude de vues de l’agglomération – le tramway n’est-il pas cette promesse de ville ?
« Tout panneau est un échec », dit Ruedi Baur10. Le raccourci pose bien l’intérêt de réfléchir aux questions, avant de placer des réponses toutes faites. Certains maîtres d’ouvrage – et aussi nombre d’architectes – considèrent encore trop souvent qu’il sera bien temps, une fois la forme donnée au bâtiment, de se poser – ou de poser à d’autres – les questions de signalétique. Ainsi se construisent parfois des « usines à gaz », invraisemblables systèmes de fléchages censés résoudre des questions dont on s’est avisé bien tardivement. Ici au contraire, notre présence dans l’équipe de conception dès l’origine de l’étude nous a donné l’occasion de porter, dans l’intimité du projet d’architecture, les questions de signalétique, mais également d’identité visuelle d’un bâtiment, c’est-à-dire de la relation entre architecture et signes.
Le développement récent des techniques numériques de reproduction des images et des textes a brusquement offert de nouvelles possibilités : à l’ère du print, on sait maintenant recouvrir des façades entières de matériaux imprimés. On a vu de quelle magistrale façon une poignée d’architectes – parmi lesquels les Suisses Herzog et de Meuron, ou Jean Nouvel – ont ouvert la voie d’une recherche qui est loin d’être épuisée. Aujourd’hui, l’image – Marie-José Mondzain dirait plutôt « le spectacle des visibilités » – est dans l’air du temps ; elle se prend à envahir tout ce qui peut s’imprimer et, en la matière, la course à l’armement ne semble pas à la veille de s’arrêter. Assurément, le meilleur y rencontrera le pire. Ce n’est pas parce que c’est possible qu’il faut le faire, mais, à l’inverse, ce n’est pas parce que c’est « tendance » que l’on doit s’en priver. Encore faut-il que le propos soit pertinent et la forme convaincante.
—
Projet de parking
Architectes : BBCR – Concepteur lumière : Yon Anton-Olano
Maîtrise d’ouvrage : Communauté urbaine de Bordeaux / Mission tramway, 2004
Comments are closed.